Bousille et les justes

Résumé

Quand la famille Grenon vient à Montréal pour sortir un des leurs d’ une histoire de mœurs, ils ne s’attendent pas à ce que cela tourne mal, habitué d’étouffer toutes les histoires autour d’eux.  Henri l’aîné de la famille, est prêt à tout pour effacer les traces durant le procès.  Bousille, cousin éloigné de la famille, simple d’esprit, ne pouvait pas non plus s’attendre à ce qu’on lui demande.  Autre tracas pour la famille, l’ancienne petite amie de l’accusé, le témoignage de Bousille, un avocat qui travaille au nom de la loi et de la justice, une mère hystérique.  La famille Grenon réussira-t-elle encore à cacher la vérité…

Production

Texte Gratien Gélinas
Mise en scène Christian Gilbert
Directeurs de production Stéphane Godin, Bernard Dagenais
Directeur des communications Martin Gélinas
Développement des partenaires Martin Gélinas
Conception des éclairages Christian Gilbert, Alain Bertrand
Montage des éclairages Alain Bertrand, Eric Gloutnay
Manipulation des éclairages Stéphane Godin
Aide au montage Stéphane Godin, Daniel Trudel, François Tremblay
Décors et Costumes Erik Beauchesne et les membres de la troupe
Régisseur de plateau Eric Gloutnay
Vidéo Martin Bérubé
Maquillage Magali Métivier, Nathalie Giguère
Accueil Janick, Alexandre et Geneviève Longpré 

Comédiens

Phil Vezeau Daniel Trudel
Henri  Grenon François Tremblay
Le garçon Janick Longpré
Aurore Mélanie Parent 
Bousille Bernard Dagenais
La Mère Carole Desjardins-Longpré
Noella Grenon Mireille Marois
Avocat Benoit Godin
Frère Nolasque Patrick Loiselle
Colette Anne Sauvier

Extrait

Bousille et les Justes

 

Texte :  Gratien Gélinas

 

Dans une chambre d’Hôtel

 

Phil :  En plein ce qu’il nous faut, hein, Henri ?

 

Henri :  Range-toi, que je téléphone à l’avocat :  il y a pas de temps à perdre.

 

Phil :  Pas de temps à perdre pour moi non plus :  depuis Trois-Rivières que je nourris le projet!

 

Henri tend un pourboir au garçon :  Tiens

 

Le Garçon :  Merci m’sieur.

 

Henri au téléphone :  Lafontaine 3-4516… un, six, oui.

 

Aurore :  Phil, où est-ce qu’il est passé ?

 

Henri montrant la salle de bain :  Là-dedans.

 

Aurore :  Oublie pas d’appeler l’avocat.

 

Henri :  Qu’est-ce que tu je fais là, tu penses ?

 

Aurore :  Il est pas tout seul à avoir le téléphone à Montréal!  D’accord!  Mettez-vous tous à ruer dans les brancards :  ça arrangera les choses.

 

Henri au téléphone :  Tant pis.  Merci, mam’zelle.  Ouais!

 

Aurore :  Pas de réponse ?

 

Henri :  Non.

 

Aurore :  Qu’est-ce qu’il a, lui, à flâner au lit quand il plaide une cause dans trois quarts d’heure ?

 

Henri :  Neuf heures moins vingt :  il est peut-être encore à la maison.  Je vais l’appeler là.

 

Aurore :  T’as loué deux chambres ?

 

Henri :  Mam’zelle, essayez donc Victor 4-5843

 

Aurore :  Il va coûter cher, ce procès là!

 

Henri :  eh ben, quoi ?  On est six :  deux lits, c’est pas trop.  Au téléphone  Allô!  Madame Lacroix ?...  Est-ce que je pourrais dire un mot à votre mari ?... Ah!  Il y a longtemps de ça ?...  Henri Grenon, de St-Tite… Bonjour, madame… Eh oui, il doit défendre mon frère, Aimé, aux assises à dix heures… Justement, oui… Savez-vous s’il se rendait tout droit à son bureau ?... Ouais… Eh ben, je le rappellerai là dans un quart d’heure… Écoutez, madame :  je voudrais pas le manquer pour tout l’or du monde; ça fait que si, de votre côté, vous avez de ses nouvelles avant que je l’attrape, demandez-lui donc de téléphoner en vitesse à l’hôtel Corona, chambre…  Quel numéro notre chambre ?  Chambre 312, madame… Excusez-moi de vous demander ce service là, mais, vous comprenez, je suis passablement sur les épines aujourd’hui.  Je m’étais bien promis d’être à Montréal à huit heures tapant, mais j’ai eu une crevaison en sortant de Louiseville… Entendu… Vous avez pris ça en note ?  Chambre 312, à l’hôtel Corona… Juste à un coin de rue du Palais de Justice… Bon… Merci, madame.  Vous êtes bien aimable… Pardon, madame :  savez-vous à quelle salle, le procès ?  Allo !...

 

Phil :  J’ai l’esprit plus tranquille comme ça.

 

Henri :  Je viens de parler à sa femme.

 

Phil :  La femme de qui ?

 

Henri :  De l’avocat, bon Dieu!

 

Phil :  Pourquoi te choquer, le beau-frère ?  T’es bien chatouilleux!

 

Henri :  On voit que c’est pas toi qui moisis depuis quatre mois derrière les barreaux!

 

Phil :  Rassures-toi :  ça me chiffonne la tranquillité, à moi aussi.

 

Henri :  Sans blague!

 

Phil :  Demande à ta sœur :  elle te dira que depuis une semaine je passe mes nuits à me tortiller dans la couchette.

 

Aurore :  En ronflant comme une tondeuse à gazon, oui.  Et puis, qu’est-ce qu’elle t’as rabâché, la femme de l’avocat ?

 

Henri :  Qu’il devrait être à son bureau dans un quart d’heure au plus.

 

Aurore :  Moi à ta place, j’irais l’attendre là.

 

Henri :  Peut-être oui…  C’est ici, à côté.

 

Aurore :  Vas-y donc.  Je serai tranquille quand tu lui auras mis la main au collet.

 

Bousille entre

 

Phil :  V’là Bousille, avec les journaux.

 

Bousille :  Tiens, Henri.

 

Henri :  Arrive-toi!  Je t’avais dit de te grouiller.

 

Bousille :  Je regrette, Henri, j’ai été obligé de courir au deuxième coin.

 

Aurore :  Où est-ce que t’as laissé m’man ?

 

Bousille :  En bas, avec la femme d’Henri.  Elle se repose une seconde.  Avez-vous rejoint l’avocat ?

 

Aurore :  Saint Antoine de Padoue, je vous promets une grande messe si on trouve rien là-dedans!

 

Bousille :  J’ai parqué l’auto à côté de l’hôtel.  Tiens, les clefs.  Excusez-moi…  Je redescends aider Noëlla à faire monter ta mère.  Au cas où vous auriez oublié :  il faudrait bien téléphoner à l’avocat.

 

Aurore :  Ghislaine qui attrape la coqueluche ce printemps, maman qui pique une crise de pression artérielle cet été, lui qui subit un procès cet automne!  Qu’est-ce qui nous attend cet hiver ?

 

Phil :  Ouais!  Eh ben, console-toi, Minoune :  t’auras pas à la payer, ta grande messe.

 

Aurore :  Non!  Pas vrai!

 

Phil :  Heureusement, c’est seulement un paragraphe dans un petit coin.

 

Henri :  Embraye, lis!

 

Phil :  Aimé Grenon aux Assises.  Ce matin à dix heures, devant la Cour du banc de la Reine, présidée par l’honorable juge Bernard Montgrain, s’instruira le procès d’Aimé Grenon, célibataire âgé de vingt-quatre ans, est accusé d’avoir causé la mort de Bruno Maltais, vingt deux ans, de Montréal, au cours d’une rixe survenue la trente mai dernier dans un restaurant de Pont Viau.

 

Aurore :  Doux Jésus!  On va le boire, le calice.  On va donc le boire jusqu’au bout!

 

Phil :  Bah!  Qu’est-ce que ça change ?  Tous les gens qui nous connaissent sont au courant de l’affaire.

 

Aurore :  Une famille respectable comme la nôtre, qui a jamais eu gros comme ça à débattre avec la justice!

 

Phil :  Justement parce qu’on est du bon monde, le petit Jésus nous laissera pas le nez dans la crotte.

 

Henri :  Tout ce qui compte, c’est que je le sorte de là les mains nettes, lui.

 

Phil :  Attends que le juge l’annonce du haut de son banc :  tu vas voir les caquets se rabattre à Saint-Tite.

 

Henri :  Il va sortir de là, lui, aussi vrai que je m’appelle Henri-Grenon.

 

Phil :  Têtu comme je te connais, tu vas en venir à bout.

 

Henri :  Attention, v’là maman!

 

Aurore :  Cache les journaux!

 

La mère :  Il est question de lui dans le journal ?

Aurore :  Mais non!  Cessez donc de vous faire de la bile pour rien.

 

Phil :  C’est moi qui jetais un coup d’œil sur la page des sports.

 

Noëlla :  Donnez-moi votre manteau, madame Grenon.

 

La mère :  Non, je le garde :  tu sais ce que j’ai dit, Noëlla.

 

Bousille :  Elle est mordue d’aller voir Aimé tout de suite :  elle voulait même pas monter.

 

Aurore :  Voir Aimé ?  Mais pour quoi faire ?

 

La mère :  Pour le consoler, voyons!

 

Henri :  C’est pas le temps, à matin.

 

La mère :  S’il a pas besoin de sa mère aujourd’hui, quand est-ce qu’il aura besoin d’elle, pauvre petit ?

 

Henri :  Vous, m’man, serrez vos crises de nerfs!  On en a déjà plein les bras sans vous.  A Aurore  Je file chez l’avocat.

 

Aurore :  Tâche de pas le rater.

 

La mère :  Cette toquade que vous avez, tous ensemble, de m’empêcher de le voir!

 

Noëlla :  Enlevez votre manteau, vous allez avoir chaud.

 

La mère :  Des fois, Noëlla, ton mari a le cœur bien dur pour sa pauvre mère.

 

Aurore :  Comprenez donc!  L’avocat l’a dit à Henri, la semaine passée :  pendant le procès, les visites à l’accusé sont interdites.

 

La mère :  L’accusé, l’accusé!  Quand je vous entends prononcer ce mot-là!  Vous savez bien qu’il est innocent.

 

Aurore :  Nous autres, on le sait.  Mais le juge le sait pas encore, lui.  C’est pour ça qu’il faut un procès.

 

La mère :  Depuis le mois de mai qu’il souffre le martyre, enfermé dans une cellule, lui qui aurait pas fait de mal à un maringouin!

 

Phil :  Justement, le procès va tirer l’affaire au clair et, ensuite, vous pourrez continuer à le dorloter à votre aise.

 

La mère :  Vous allez au moins me laisser assister au procès ?

 

Aurore :  À matin, vous allez rester ici, bien tranquille.  Avec la pression que vous avez, vous faites mieux de pas trop vous énerver.

 

La mère :  Mais… cet après-midi ?

Aurore :  Cet après-midi, peut-être, si vous promettez d’être raisonnable.

 

La mère :  Je te le promets.

 

Aurore :  Et de ne pas pleurer à chaudes larmes devant tout le monde.

 

La mère :  Bousille!  En attendant, donne-moi sa photo; elle est dans ma valise.

 

Phil :  Ce serait peut-être une bonne chose, tu sais.

 

Aurore :  Quoi ?

 

Phil :  Qu’elle se montre le nez au Palais de Justice.  Pour attendrir le jury, il n’y a rien comme la mère de l’accusé qui pousse un beau sanglot dans la salle.

 

Aurore :  J’espère qu’on n’aura pas à compter là-dessus.

 

Bousille :  Tenez, ma tante.

 

La mère :  Mets-là sur la commode, avec la statue de la bonne sainte Anne que j’ai apportée.

 

Bousille :  Entendu, ma tante.

 

Phil :  Vous auriez pu en prendre une plus nouvelle.  On dirait jamais là-dessus un colosse de cinq pieds onze pouces et demi!

 

La mère :  Il a grandi, mais il a pas changé.

 

Noëlla :  Étendez-vous donc sur le lit; ça vous reposera.

 

La mère :  J’aime mieux rester assise :  j’étouffe, couchée, avec mon corset.

 

Aurore :  Votre boule sur l’estomac, l’avez-vous toujours ?

 

La mère :  Il me semble qu’elle grossit.

 

Aurore :  Si vous pouviez pleurer, ça vous soulagerait.  C’est le temps de vous laisser aller :  on est en famille.

 

La mère :  Je sais que ça me ferait du bien, mais je peux pas y arriver.

 

Phil :  Refoulez pas, la belle-mère, refoulez pas; lâchez la vapeur!

 

La mère :  Bousille!  Donne-moi mon sac, que je prenne mon chapelet.

 

Bousille :  Tout de suite, ma tante.  À propos, je vous ai installé votre radio :  vous pourrez entendre le rosaire en famille, à sept heures.

 

La mère :  Faudra pas oublier.  Quels mystères le lundi déjà ?

 

Bousille :  Les mystères joyeux, ma tante.

 

La mère :  Mon Dieu!  Aurore!

 

Aurore :  Quoi ?  Qu’est-ce qu’il y a ?

 

La mère :  J’ai perdu mon chapelet!

 

Aurore :  Vous êtes sûre qu’il est pas dans votre sac ?

 

La mère :  Mon beau chapelet du Tiers Ordre!

 

Noëlla :  Vous en êtes-vous servi dans la voiture ?

 

La mère :  Non.  Il fallait que je le perde aujourd’hui, où j’ai tellement besoin de prier pour Aimé!

 

Aurore :  je mettrais ma main au feu que, dans votre énervement, vous l’avez oublié à la maison.

 

La mère :  Dans ce cas-là, téléphone tout de suite :  je veux savoir.

 

Aurore :  Entendu.  On va dépenser deux piastres au téléphone pour retrouver un chapelet de soixante-quinze cents!

 

Noëlla :  Si ça peut la rassurer, il y a pas à hésiter une seconde.

 

Phil :  Appelle donc :  j’en profiterai pour parler à Roland au garage.

 

Aurore :  Pas étonnant qu’on tire le diable par la queue.

 

La mère :  Bonne sainte Anne, je vous promets trois gros lampions à une piastre si je le retrouve!

 

Phil :  Attendez donc deux minutes avant de promettre :  il est peut-être pas perdu plus que vous.

 

Aurore au téléphone :  Allô, mademoiselle, voulez-vous me donner le numéro 3684, à Saint-Tite de Champlain… N’importe qui …

 

Bousille :  Ma tante, je peux vous prêter le mien, si vous voulez.

 

La mère :  C’est mon chapelet qu’il me faut!

 

Phil :  Vous avez raison :  quand on s’est fait la main à un bon outil, c’est toujours embêtant d’en changer.

 

Aurore au téléphone :  Allô, Gontran ?  C’est maman, mon petit homme… Écoute :  va voir si le chapelet de mémère serait pas quelque part dans sa chambre.

 

La mère :  Dis-lui de regarder sous mon oreiller.

 

Aurore :  Commence par regarder sous son oreiller.  Dépêche-toi et passe-moi Ghislaine en attendant.  

 

Phil :  Oublie pas, je veux parler à Roland au garage.

Aurore :  Allô, Ghislaine!  Si madame Laberge est pas arrivée quand tu partiras pour l’école, laisse-lui la clef en passant… Si elle essaie de te tirer les vers du nez au sujet de ton oncle Aimé, réponds que tu sais rien… Si tu fais la bonne fille, maman t’apportera un cadeau…  Non, non :  quelque chose de pas utile…

 

Phil :  Un beau livre de messe!

 

Aurore :  Quoi ?  A la mère  Il était là votre chapelet, évidemment.

 

La mère :  Merci, bonne sainte-Anne!

 

Aurore :  Non… il est loin d’être fini, le procès; il est même pas commencé… je sais pas… On retournera peut-être ce soir.  Ça dépendra.